On reconnaît bien l’œil vif, le sourire taquin et l’air frondeur de «Pete», qui semble n’avoir pas vieilli. Pourtant, voilà 30 ans que Francis Reddy incarnait le personnage de Chambre en ville qui lui colle encore à la peau. Outre quelques rides, développés davantage par ses éclats de rire que son âge, ses cheveux un peu en bataille, son chandail rayé et son jean délavé lui donnent encore l’allure d’un jeune homme.
Par Érick Rémy
«Mais je sens que j’ai 61 ans! La vie m’a fait un grand cadeau, j’ai de l’énergie et plutôt que de la garder égoïstement, je la disperse autour de moi en me disant que ça peut peut-être être utile», explique l’animateur de l’émission Le goût des autres à la radio de ICI Première.
Il tient cet air de jeunesse de sa mère qui, à 93 ans, semblait n’en avoir que 70. Il dit avoir aussi hérité de sa curiosité, de son goût des belles choses et de son appétit pour la vie.
Francis parle avec un mélange de fierté et de tristesse de Roxane, l’ayant perdu aux mains du cancer il y a bientôt un an. «Jusqu’à ce qu’elle tombe subitement malade, toutes ses choses étaient à jour. Sa vie était impeccable.»
Dans le cas de Francis, il a plutôt un sens de l’organisation particulier. «Mon bureau est un véritable capharnaüm. L’autre jour, parce que j’allais finalement faire une entrevue avec un certain chef cuisinier après trois ans d’attente, j’ai indiqué à ma recherchiste l’endroit exact où se trouvait toujours son dossier. Incrédule, elle m’a vu sortir le document, les yeux fermés, d’une pile au-dessus d’un classeur. Elle n’en revenait pas», mentionne-t-il en riant. Une anecdote qui en dit beaucoup sur lui.
L’être avant le paraître
Passé maître de la discipline dans l’imprévu et du moment présent dans le tumulte, en bon épicurien, il savoure chaque instant.
«Ma vie goûte le vent, la liberté. Pour moi, être libre c’est de ne pas être obligé d’avoir une pensée unique, d’appartenir à un groupe, une clique, ou de faire ce qui est tendance», précise Francis Reddy.
Après des émissions plutôt à saveur culinaire, comme Des kiwis et des hommes, il se concentre désormais davantage sur l’individu, cherchant un prétexte pour découvrir «l’autre».
C’est la mort de l’ancien premier ministre du Québec, Robert Bourassa, qui a déclenché en lui le désir d’aller au-delà de l’image.
«J’avais lu des témoignages de journalistes qui l’avaient côtoyé. Tous disaient à quel point il était un être sensible, merveilleux, doté d’une extraordinaire culture, qui aimait discuter. Cela m’avait choqué de ne l’apprendre qu’après sa mort», souligne Francis.
Depuis, il s’est donné comme mission en entrevue de faire ressortir l’être derrière la fonction.
Changements
S’il y a une qualité qu’il est heureux d’avoir développée en vieillissant, c’est de ne plus sauter aux conclusions et surtout, de ne jamais juger les gens.
«Il fut une époque où je le faisais et souvent. Lorsque j’avais jugé quelqu’un, je m’apercevais que j’avais finalement eu tort de le faire, avoue-t-il avec modestie. Maintenant, j’essaie plutôt de comprendre que de condamner.»
Avec l’âge, il se permet davantage de montrer son vrai visage. «Il m’arrive parfois de pleurer. Je me suis donné le droit d’être vulnérable. C’est pour moi une grande richesse d’avoir compris et intégrer ça dans ma vie.»
On a pu constater toutes les couleurs de ses émotions notamment dans l’émission En direct de l’univers qui lui a permis de faire découvrir à tout le Québec la chanson Il est où le bonheur? de Christophe Maé.
Nouveau défi
Alors qu’il a toujours été là où on ne l’attendait pas, dès la fin août il animera une émission traitant de la musique classique.
«Ma famille, ma mère, ma sœur, ont œuvré dans le classique. Je désire toujours surprendre les gens et ne jamais être campé dans un rôle. Mais c’est de l’ouvrage», dit Francis dans un éclat de rire.
Même s’il a toujours trimé dur pour se tailler une place, le comédien devenu intervieweur n’envisage toujours pas le jour où il prendra sa retraite.
«Dans mon métier, ça n’existe pas. C’est la vie qui va en décider. C’est elle qui va caller la shot», dit-il, résigné.
En couple depuis plus de 30 ans, Brigitte Singher et Francis Reddy se sont mariés en 2010. Ils ont eu leurs fils Philippe, 27 ans, un futur ingénieur en informatique, et Arthur, 24 ans, artisan-boulanger à la Meunerie urbaine.
Rien n’empêche qu’on pourrait bien retrouver Francis Reddy travailler dans la boulangerie de son fils, si un jour Arthur décide d’ouvrir son propre commerce.
Parce que le bonheur, c’est ça aussi.